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Réponse de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université - ACPPU au document de consultation d’Industrie Canada "Un moment à saisir : aller de l’avant dans le domaine des sciences, des technologies et de l’innovation".

Le Canada a besoin d’une politique et d’une stratégie nouvelles en matière de sciences. Les orientations qu’a prises le gouvernement fédéral risquent de freiner les progrès scientifiques et compromettent l’intégrité et l’indépendance de la recherche scientifique publique. En témoignent le rétrécissement du soutien fédéral à la recherche fondamentale, les tentatives d’arrimage du financement à des priorités d’ordre politique ou à des projets aux perspectives commerciales assurées, le bâillonnement des scientifiques fédéraux, et les coupes radicales appliquées aux organismes, aux programmes et aux bibliothèques scientifiques du gouvernement.

Renouveler le financement de la recherche fondamentale

Contrairement à ce qu’on avance dans le document de consultation, le soutien financier du gouvernement fédéral à la recherche fondamentale au Canada est en perte de vitesse depuis quelques années. Les trois conseils subventionnaires du Canada – les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) – n’ont eu droit qu’à de faibles augmentations de leur budget de base. Corrigé en fonction de l’inflation, le financement de la recherche fondamentale a largement diminué depuis 2007, au moment où le gouvernement adoptait sa stratégie Réaliser le potentiel des sciences et de la technologie au profit du Canada. Dans l’ensemble et en dollars constants, le financement de base des conseils subventionnaires a diminué de 7,5 %. Cette diminution, en dollars constants, du soutien à la recherche fondamentale s’est notamment traduite par une baisse marquée du nombre de projets de recherche prometteurs pouvant être financés.

Corrigé en fonction de l’inflation, le financement de la recherche fondamentale a largement diminué depuis 2007.

Au lieu d’offrir un soutien adéquat à la recherche fondamentale, le gouvernement affecte ses nouveaux investissements aux projets de recherche orientée qui sont censés être porteurs d’une valeur commerciale immédiate. En témoigne la grande place qu’occupe dans le document de consultation l’innovation au sein des entreprises, une approche qui vise en somme la mobilisation des connaissances scientifiques en fonction d’applications commerciales à court terme. Cette approche s’inscrit dans une vision à courte vue et dangereusement étroite de la science qui fait fi de l’histoire des progrès scientifiques. Les rayons X, le nylon, le Téflon, la technologie GPS, l’informatique, la supraconductivité et l’imagerie médicale ne sont que quelques-unes des percées inattendues qui puisent leur origine dans la recherche fondamentale. Les données factuelles montrent clairement qu’une polarisation sur la commercialisation peut étouffer la créativité et faire obstacle à toute découverte imprévue de la recherche fondamentale.

Assurer l’intégrité et l’indépendance de la recherche dans les secteurs collégial et universitaire

Le fléchissement du financement n’est pas le seul défi auquel se heurte actuellement la communauté scientifique au Canada. Le gouvernement fédéral a réorienté son soutien financier et ses modes d’attribution. Il axe une part accrue du financement sur des projets et des établissements spécifiques qu’il juge lui-même importants, et il le fait de manière à diriger les chercheurs vers des partenariats avec l’industrie, ce qui est encore souligné dans le document de consultation. De plus, le gouvernement fédéral a adopté la plupart de ces nouvelles orientations en vase clos, sans consulter la communauté scientifique.

Nous sommes très préoccupés par la propension croissante du gouvernement à orienter le financement de la recherche et à outrepasser le processus d’évaluation par les pairs. Le gouvernement, au lieu de s’en remettre à l’évaluation de la communauté scientifique quant aux projets de recherche qui méritent d’être financés, impose de plus en plus aux organismes subventionnaires d’axer le financement sur des collaborations avec l’industrie, des domaines ou des sujets qu’il détermine lui-même.

Nous sommes très préoccupés par la propension croissante du gouvernement à outrepasser le processus d’évaluation par les pairs.

La polarisation sur l’innovation au sein des entreprises et sur la commercialisation de la recherche, conjuguée à la tendance à exiger la collaboration des scientifiques fédéraux et des chercheurs universitaires avec des partenaires industriels, peut aussi miner l’intégrité de la recherche scientifique. Dans un rapport publié récemment, l’ACPPU analyse douze accords de collaboration entre des universités, des sociétés et des gouvernements au Canada. Nous avons constaté que sept des douze accords n’offrent aucune protection spécifique de la liberté académique, qu’un seul exige la divulgation des conflits d’intérêts, et qu’à peine cinq confèrent aux chercheurs universitaires le droit absolu de publier les résultats de leurs travaux. En outre, l’université ne conserve la mainmise sur les questions académiques qui touchent le personnel et les étudiants que dans la moitié des accords.

Soutenir la recherche scientifique gouvernementale dans l’intérêt public

Le document de consultation ne mentionne nulle part l’importance de la recherche scientifique gouvernementale. Déjà le gouvernement fédéral exerce un contrôle politique inacceptable sur la science publique en bâillonnant ses propres scientifiques. Il a vidé de leur substance des bureaux et des organismes scientifiques gouvernementaux, et lie de plus en plus la recherche réalisée par ses propres ministères et organismes publics à des intérêts politiques.

Les entraves gouvernementales à la libre expression des scientifiques relativement à leurs travaux sont condamnées sur la scène internationale et ternissent la réputation du Canada en tant que société ouverte. Les sciences souffrent également de l’élimination radicale de personnel et de programmes scientifiques, ainsi que de la fermeture de bibliothèques fédérales, au moment où nous avons plus que jamais besoin de décisions fondées sur des données scientifiques probantes. Les Canadiens se heurtent à d’importants défis qui nécessitent des solutions scientifiques éclairées, notamment en matière de changements climatiques, de demande énergétique, de santé publique et d’innocuité des médicaments.

Les ministères et organismes gouvernementaux, incluant Ressources naturelles Canada, Environnement Canada, Pêches et Océans Canada, Santé Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Statistique Canada et le Conseil national de recherches ont un rôle essentiel à jouer pour relever ces défis, rôle qu’ils ne peuvent exercer que s’ils ont le financement et la latitude voulus.

En guise de conclusion

En réponse à un mouvement de protestation croissant des chercheurs et des universitaires au Canada, l’ACPPU a lancé une campagne nationale, « La science à bon escient », pour souligner les effets négatifs de l’approche du gouvernement pour ce qui est de la science, proposer une nouvelle orientation et encourager les Canadiens à agir pour protéger l’intégrité scientifique.

Le financement de la recherche scientifique par l’intermédiaire des conseils subventionnaires devrait reposer sur un processus d’évaluation par les pairs, et les priorités de la recherche devraient émaner de la communauté scientifique. Les trois conseils subventionnaires devraient donc jouir d’une indépendance accrue par rapport au gouvernement, et leur conseil d’administration devrait compter une plus grande proportion d’experts scientifiques.

Le gouvernement canadien se doit de prendre appui sur les compétences incontestées des chercheurs universitaires et gouvernementaux.

Les Canadiens et leurs représentants élus ont besoin d’avis objectifs et impartiaux en matière de politique scientifique. Il y aurait notamment lieu de créer un poste de haut fonctionnaire du Parlement aux sciences, rattaché à la Bibliothèque du Parlement et relevant du Sénat et de la Chambre des communes. Il aurait pour fonction de fournir au Parlement des analyses et des avis indépendants quant à la pertinence et à l’efficacité des politiques, des priorités et du financement des sciences au Canada.

Finalement, le gouvernement fédéral devrait assujettir son soutien à des collaborations avec l’industrie et les universités à l’exigence, pour tous les partenaires, d’adopter des lignes directrices précises aptes à protéger explicitement la liberté académique et l’intégrité institutionnelle. Contrairement à ce qu’envisage le document de consultation, le gouvernement canadien se doit d’opter pour une stratégie en matière de sciences qui répond en tout premier lieu à l’intérêt public et qui prend appui sur les compétences incontestées des chercheurs universitaires et gouvernementaux.


  • Wayne Peters et James L. Turk
    ACPPU

    Wayne Peters est le président de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU). Avant d’occuper le poste actuel de professeur d’ingénierie à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, il était président de l’association des professeurs de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. Il a aussi été président du département d’ingénierie, président du comité de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard chargé d’évaluer la compétence des ingénieurs et président du comité de déontologie du Bureau canadien des conditions d’admission en génie d’ingénieurs Canada.

    James L. Turk est le directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU). Avant de se joindre à l’ACPPU, il occupait le poste de professeur agrégé de sociologie à l’Université de Toronto, spécialisé dans les études canadiennes, et directeur du programme de spécialisation en travail au Collège universitaire. Il est aujourd’hui professeur auxiliaire de recherche à l’Institut d’économie politique de l’Université Carleton et siège au conseil d’administration du Centre canadien de politiques alternatives.L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université est le porte-parole de plus de 68 000 membres du personnel académique et général en poste dans plus de 120 collèges et universités au Canada.

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