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Normand Voyer, Université Laval
La chimie de l’amour est un prétexte, en fait, pour parler de la science, illustrer son omniprésence. Un prétexte aussi pour démontrer aux jeunes qu’ils ont les capacités de la comprendre que ce soit pour devenir des scientifiques aguerris, peut-être, mais surtout des personnes ayant un jugement critique bien installé sur des bases rationnelles.

[Colloque 54 - Libido sciendi ou variations sur le désir de connaître]

Découvrir : Normand Voyer, vous êtes un chimiste spécialisé très sérieux, mais là, depuis quelques années on vous invite dans d’autres circuits pour aller parler de la « chimie de l’amour ». Que s’est-il passé?

Normand Voyer : C’est aussi très sérieux comme sujet... Je dirais que si le désir de connaître a toujours animé mes deux types de parcours, le « scientifique » et le « publique », le désir de faire connaitre, de partager, fut un moteur très puissant pour le deuxième. Le partage de ses acquis est même quand on y pense, complémentaire au fait de connaitre. L’un enrichissant l’autre.

Découvrir : Qu’est-ce qui vous a mené à la communication « grand public »?

Normand Voyer : Je n’étais pas un élève modèle ni au secondaire ni à l’université. Mais on m’a donné beaucoup de coups de pouce, on a usé de patience, et j’ai bien bénéficié du soutien de notre système d'éducation. Le désir de connaitre a son propre rythme de développement, et si on offre de multiples occasions aux jeunes de s’éveiller, de s’ouvrir, et qu’on fait preuve de ténacité, on obtient un résultat, des années plus tard parfois; l’important étant d’offrir de l’espoir, de montrer des directions possibles.

C’est après un stage postdoctoral aux États-Unis en chimie organique, une fois devenu professeur à l’Université de Sherbrooke, que j’ai fait ma première expérience de communication hors université. C’était au Musée de la nature et des sciences de Sherbrooke, dans le cadre d’une exposition interactive pour les jeunes, Ébulliscience, où j’étais invité à raconter mon parcours. Tout de suite, j’y ai pris goût.

Puis, toujours au Musée, j’ai été consultant scientifique de l’expo « Des atomes crochus », parrainée par l’Ordre des chimistes du Québec et présentée dans le cadre du 100e anniversaire de Pasteur et du 200e anniversaire de Lavoisier.

J’y ai travaillé avec des gens passionnés et passionnants, qui n’avaient aucune formation chimique « dure ». Ce fut une expérience marquante et un véritable plaisir. C’est là que j'ai compris que je pouvais jouer un rôle dans ce milieu, celui de « traduire » de manière séduisante une science tellement développée qu'elle en est devenue difficile à comprendre pour les non-spécialistes. Et puis, personne ne peut faire mieux comprendre le travail d’un scientifique que le scientifique lui-même.

Ensuite, je me suis essayé comme conférencier. On m’avait invité, par exemple, à parler de mes travaux. J'avais décrit mes recherches sur les nanostructures destructrices de cellules cancéreuses. Bla bla bla... au bout de 10 minutes, l’auditoire avait décroché. Trop complexe, trop flyé, trop personnel.

Si le désir de connaître a toujours animé mes deux types de parcours, le "scientifique" et le "public", le désir de faire connaître fut un moteur très puissant pour le deuxième.

J’ai alors monté une autre conférence, plus structurée, qui s’appelait Nano 101. À l’époque, on parlait beaucoup des nanotechnologies, et on s’en inquiétait, pour des raisons parfois loufoques. Je voulais tout au moins communiquer les faits, ce que nous savions et ce qui était incertain. Mais, je n’ai pas fait longue route avec Nano 101. Je l’ai donnée une dizaine de fois et dans des salles de 50 personnes, un public déjà averti. C’était bien, et il faut qu’il y ait des communications pour ces gens-là, mais pour ma part, je voulais toucher le grand public, et surtout les jeunes.

Découvrir : Et comment avez-vous trouvé la manière?

Normand Voyer : Pour la conférence La chimie de l’amour, l’élément déclencheur s’est présenté aux 24 heures de la chimie, une idée assez sympa lancée en 2006 par notre département. Cette activité, qui se tient tous les trois ans, vise à créer un sentiment d’appartenance. Employés, professeurs, étudiants du bac ou diplômés, tout le monde en est. On y donne l’occasion aux étudiants de transmettre leur savoir à des jeunes, de faire passer une passion des sciences qu’eux-mêmes ont reçue de quelqu’un quelque part. Vous voyez, encore ici, cette circularité entre l’apprentissage et le partage.

Dans la matinée, on reçoit le primaire. Il faut voir ces petites troupes avec leurs sarraus, leurs lunettes, tenter de faire des explosions, sous la supervision des étudiants du bac. C’est vraiment cool. Puis, dans l’après-midi, 300 jeunes du secondaire débarquent pour réaliser à leur tour des manips et assister à un grand spectacle de chimie.

C’est lors du premier 24 heures, pour combler l’espace de minuit à une heure du matin, que les étudiants m'ont dit : « Normand, concocte-nous donc une conférence ». La chimie de l’amour m’a semblé un bon sujet, et j’ai planché là-dessus pendant un mois, cherchant un fil conducteur, des sujets attirants. La chimie des condoms et du Viagra. Oui. L’ecstasy? Bien sûr, la chimie des drogues de l’amour est un incontournable. Et le coup de foudre, cette irrésistible réaction chimique, cette dose de substances neuroactives qui touche tout le monde, certainement. Des sujets en apparence très légers, mais tous scientifiquement démontrés, pas de « j’ai lu ça sur Internet ». Des aspects chimiques, oui, mais aussi des notions puisées dans les autres sciences.

Imaginez… minuit sonnant, une audience de 200 étudiants de chimie un peu éméchés. Ce fut un lieu de lancement improbable, quoique approprié pour cette conférence. Quand j’y repense aujourd’hui, j’en conclus que ce fut à la fois un succès et un « désastre ». C’était l’euphorie, les étudiants criaient, commentaient, me répondaient, puis j’ai manqué de voix, je n’étais plus capable. Toute une expérience, pas sûr que je le referais...

Mais c’était parti. J’ai restructuré la conférence pour les jeunes du secondaire, et depuis elle roule encore, pour ce public et pour d’autres. Je l'ai présentée plus de 150 fois.

Réussir à capter l’imaginaire et l’intérêt de jeunes pendant une heure, le temps d’une période de classe, fut très révélateur. Voilà que je pouvais offrir un moment de science stimulant, accrocheur, tout en véhiculant quelques idées sur les scientifiques et la science qui me tiennent à cœur, et tout ça, sans en avoir l’air! L’idée, par exemple, que les scientifiques et que faire de la science, c’est cool. Enrichir leur vision pour dépasser les clichés tenaces. Et la persévérance aussi. C’est un aspect important qui traverse la présentation. Je leur parle un peu de mon cheminement, pour montrer que la science est faite par des gens imparfaits. Tous les jeunes pensent que pour toi c’est facile et que pour eux, c’est ardu, voire impossible. Démystifier, oui, mais sans nier la part de travail.

Découvrir : Ainsi, la science est partout même dans l’amour. Pouvez-vous donner un exemple? Qu’est-ce qu’il y a derrière l’ecstasy?

Normand Voyer : L'histoire populaire et aujourd'hui controversée veut que l’ecstasy, le MDMA de son nom chimique, ait été développée par les Allemands lors de la Première Guerre mondiale. Ils avaient fait des calculs pour envahir la planète – eh oui, une idée fixe – et ils estimaient que la question des rations alimentaires deviendrait un problème. Ils ont alors demandé à leurs chimistes de développer un coupe-faim.

Ils l’ont testé avec leurs soldats, dans le sud de la France, et surprise, plusieurs se sont mis à flirter avec de jeunes Françaises! La molécule a vite été mise au rencart. Elle a refait surface dans les années 1970, à New York, dans les discothèques où la danse traverse la nuit entière.

J’explique aux étudiants la dynamique chimique du MDMA dans un cerveau. En fait, c’est un neuroactif qui stimule la sécrétion de dopamine, de sérotonine et de norépinéphrine. Puis, cette dernière se transforme en adrénaline, ce qui donne l’énergie pour danser toute la nuit.

Évidemment, ce n’est pas innocent, car la molécule est un neuroatrophisant, et quand on sait que les cellules du cerveau ne se régénèrent pas... Je leur explique donc qu'à chaque prise d’ecstasy, on atrophie les neurones de la zone du cerveau où la molécule se lie, celle de la cognition. Puis, comme la surstimulation de la dopamine et de la sérotonine finit par amener une régulation à la baisse des récepteurs de ces substances, une dépression s’ensuit éventuellement. Il y aussi les problèmes cardiovasculaires, car l’adrénaline augmente le rythme cardiaque et la pression artérielle. L’arythmie cardiaque constitue un des fréquents effets secondaires. Après, je leur montre des photos de laboratoires clandestins, car l’ecstasy est une drogue de synthèse. Des tanks de propane, du diluant à peinture, etc.

J’envoie le message qu’ils peuvent acquérir une pensée et des connaissances scientifiques sans être obligé de faire une carrière en science, et que cette attitude rigoureuse les aidera toujours.

Je leur parle simplement et scientifiquement du caractère de cette drogue. L’idée est de les rendre compétents, pour les amener à prendre leurs propres décisions, libres de faire un choix, mais le plus éclairé possible. Je ne veux pas être moralisateur, il faut être très respectueux de leur intelligence. J’envoie le message qu’ils peuvent acquérir une pensée et des connaissances scientifiques sans être obligé de faire une carrière en science, et que cette attitude rigoureuse les aidera toujours.

La chimie de l’amour devient un prétexte, en fait, pour leur parler de la science, leur illustrer son omniprésence. Un prétexte aussi pour leur démontrer qu’ils ont les capacités de la comprendre pour devenir des scientifiques aguerris, peut-être, mais surtout des personnes ayant un jugement critique bien installé sur des bases rationnelles.

Découvrir : Et après l’amour?

Normand Voyer : J’ai une piste : la chimie des pourquoi. Quand je passe sur l’autoroute à 120 kilomètres, les fenêtres fermées, aux côtés d’une mouffette, pourquoi l'odeur s’engouffre-t-elle dans mon habitacle bien scellé? Pourquoi, quand je bois rapidement deux shooters, ai-je un buzz? Pourquoi les caméléons sont-ils caméléons? Pourquoi je pleure quand je coupe des oignons? Bref, je ne suis pas inquiet, les métabolismes de ma libido sciendi et mon désir de partage sont encore fort vigoureux!  


  • Normand Voyer
    Université Laval

    Diplômé de l’Université Laval, Normand Voyer a fait ses études postdoctorales à UCLA avant de se joindre à la compagnie DuPont, à Wilmington, Delaware (USA). Il a commencé sa carrière d’enseignant à l’Université de Sherbrooke avant de retourner à son alma mater en 1996, où il est actuellement professeur titulaire de chimie bioorganique. Ses efforts de recherche visent le développement de composantes nanométriques peptidiques et protéiques pour le diagnostic et la chimiothérapie. Par ailleurs, Normand Voyer participe activement à la promotion des sciences auprès du public au moyen de conférences et de chroniques radiophoniques. Sa conférence sur la chimie de l’amour a été présentée à près de 30 000 jeunes et moins jeunes à travers le Québec.

    Propos recueillis par Johanne Lebel, rédactrice en chef

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