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Penser pouvoir soulager la douleur est un non-sens, il s’agit de soulager le patient souffrant. Il est temps de différencier la recherche médicale, qui a pour but de guérir les maladies, de l’art de la médecine, qui consiste à soigner les malades.

La douleur, ancienne et tenace

[NDLR : Article résumant le texte scientifique La persistance du phénomène de la douleur en biomédecine : Quel rôle joue l’identité du médecin?, publié dans la revue en ligne Médecine Sciences Amérique.]

La douleur est souvent considérée comme le plus vieux problème médical. Et malgré une surabondance de connaissances expérimentales et d’analgésiques pleinement efficaces, elle est, malheureusement, encore largement négligée par l’ensemble du corps médical. De fait, on estime à 80 % le nombre de personnes recevant un traitement inadéquat de par le monde.

Les chercheurs Sylvie Lafrenaye et Philippe Goffaux ont revu plus de 200 articles pour essayer de comprendre pourquoi, encore aujourd’hui, la douleur est si « mal » traitée. Une première surprise : la grande satisfaction des patients par rapport à la prise en charge de leur douleur, malgré une analgésie objectivement qualifiée d'insuffisante par les experts. De quoi rendre assez perplexe!

Selon les auteurs, ce paradoxe démontrerait surtout la croyance et le respect entretenus envers l’institution biomédicale dans son ensemble, le besoin d’être soigné (besoin attentionnel, relationnel) et la peur de perdre les soins offerts. Derrière ce respect, il faut surtout voir émerger toute l’importance de la relation soignant-soigné. Ainsi, devant cette question complexe qu’est la douleur, les chercheurs proposent, entre autres, de laisser plus d’espace à l’individualité des médecins. Une approche à contre-courant du système médical actuel.

Une rencontre, et c’est le début d’un mieux-être

Au cœur du traitement, il y a une rencontre. Une rencontre entre un médecin et une personne souffrante. Pour elle, c’est potentiellement tout le devenir de sa douleur qui se joue. Déjà au départ, si le médecin quantifie la douleur afin de bien comprendre la réalité du patient, tout se passe bien. Cependant, ce n’est pas systématique. Objectiver une expérience si subjective n’est pas chose facile.

Les médecins ont souvent peur que la prescription d’analgésiques mène à une dépendance – ce qui arrive, mais dans une proportion infime. En pratique, ils donnent souvent moins d’analgésiques puissants aux enfants qu'aux adultes, même en présence d’une douleur sévère, et plus d’opioïdes aux femmes qu’aux hommes à pareille intensité de douleur. Ainsi, pour un diagnostic similaire, les médecins  traitent différemment la douleur selon le sexe et l’âge.

Plusieurs facteurs ont été étudiés pour comprendre ces attitudes variables, dont le type de relation médecin-patient. Le médecin peut établir une relation paternaliste, en décidant des actions à prendre; informationnelle, en respectant formellement l’autonomie du patient; interprétative, en échangeant des informations; ou enfin, délibérative, à travers une discussion. Ces diverses attitudes colorent le devenir douloureux des patients, au-delà du diagnostic et de la thérapeutique offerte.

Les mots et au delà des mots

Pour déterminer le type de prise en charge à offrir au patient, le dialogue est central. Le soignant doit pouvoir déchiffrer les mots et les sous-entendus du malade. La douleur contient tout un vécu, et le langage non verbal peut parfois contredire les mots. La perception du soignant ne peut pas être neutre. Comme dans toute communication, le récepteur insère ses schémas de compréhension, qui dépendent directement de son parcours personnel.

Le soignant doit pouvoir déchiffrer les mots et les sous-entendus du malade. La douleur contient tout un vécu, et le langage non verbal peut parfois contredire les mots.

Derrière cette variabilité et cette richesse de perceptions, on trouve des médecins que l’on a formés comme des « clones », tous compétents et performants, mais qui ignorent qui ils sont. On le voit, il n’est pas possible d’objectiver et de systématiser une approche où chaque duo soignant-soigné est unique.

Pour le médecin, l’une des voies de reconnaissance de son individualité pourrait être une exploration de sa spiritualité. Non pas religieuse, mais en tant que quête de sens. Puisque la douleur est d’abord et avant tout une expérience subjective, elle ne peut résonner qu’avec la subjectivité du médecin. Ce dernier doit alors prendre conscience de ses croyances, ses souhaits, ses espoirs par lesquels il filtre les informations. Pour comprendre l’autre et sa douleur, le soignant doit comprendre ses propres perceptions et jugements.

Beaucoup plus qu’une ressource encyclopédique…

Cette démarche identitaire et spirituelle n’a pas sa place dans le système de santé actuel, sauf peut-être en médecine palliative. Comment réussir à l'intégrer dans un système biomédical où le médecin semble condamné à n’être qu’une ressource encyclopédique, et où tout n’est qu’objectivation et performance? Il est clair pour Sylvie Lafrenaye et Philippe Goffaux que les recherches doivent se concentrer sur le soignant tout autant que le soigné. Ultimement, cela pourrait soulager le système médical d'une partie des coûts reliés aux douleurs chroniques.

Actuellement, la formation médicale, du moins en Amérique du Nord, s’attarde peu à l’émotionnel, au social et au spirituel de l’étudiant. Or elle devrait viser à coupler les données probantes à une réflexion personnelle afin de parvenir à un véritable professionnalisme médical. Penser pouvoir soulager la douleur est un non-sens, il s’agit de soulager le patient souffrant. Il est temps de différencier la recherche médicale, qui a pour but de guérir les maladies, de l’art de la médecine, qui consiste à soigner les malades. Temps de laisser plus d’espace au sujet souffrant qu’à la douleur. Temps de laisser plus d’espace au sujet-médecin.

Il est clair pour Sylvie Lafrenaye et Philippe Goffaux que les recherches doivent se concentrer sur le soignant tout autant que le soigné. Ultimement, cela pourrait soulager le système médical d'une partie des coûts reliés aux douleurs chroniques.

  • Clémence Cireau en collaboration avec Sylvie Lafrenaye et Philippe Goffaux
    Université de Sherbrooke

    Clémence Cireau, lors de sa dernière année de licence en information et communication à l’Université de Bordeaux, rejoint le Québec dans le cadre d'un échange. Elle y réalise alors une maîtrise en journalisme scientifique à l’Université Laval. Elle a travaillé pendant deux ans à la Chaire de journalisme scientifique de l’Université Laval. Désormais, elle écrit des articles en journalisme scientifique, en parallèle de son poste d’adjointe de direction au sein de la revue Médecine Sciences Amérique. En novembre 2012, elle a fondé l’espace collectif pour journalistes indépendants, UBLO.

    Sylvie Lafrenaye, pédiatre-intensiviste, et Philippe Goffaux, neuropsychologue, sont tous deux chercheurs au Centre de recherche du CHUS, Université de Sherbrooke.

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