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Vincent Larivière, Université de Montréal
L’importance d’une revue ou d’une autre dans le champ scientifique est tout sauf statique. Certaines disparaissent et d'autres apparaissent, à la faveur de l’émergence de nouvelles disciplines, spécialités ou méthodologies.

Être publié chez les « majors »

Les revues sont au cœur du processus de communication savante. D’un point de vue pratique, elles coordonnent l’évaluation par les pairs, permettant ainsi une certaine validation des connaissances qu’elles publient. Bien que cette étape cruciale soit imparfaite – comme en témoigne la hausse des articles rétractés, observée depuis quelques années  –, elle demeure le mode d’évaluation standard utilisé pour départager ce qui mérite d’être publié de ce qui ne le mérite pas. Les revues servent également à établir la priorité d’une découverte et à fournir la méthode « recette » des auteurs menant à la reproductibilité des résultats.

À une échelle plus symbolique, les revues savantes déterminent une certaine hiérarchie des découvertes. Par exemple, on attribuera une « qualité » supérieure à une découverte publiée dans Science ou Nature qu'à une autre présentée dans la revue Il Nuovo Cimento ou le Canadian Journal of Physics.

Dans un échange de capital purement bourdieusien1, les chercheurs envoient leurs résultats les plus importants aux « meilleures » revues, qui, en les acceptant, confirment aux auteurs et à la communauté scientifique la supériorité de la découverte publiée. Les revues fournissent ainsi aux auteurs, en échange de leur contribution, un capital symbolique proportionnel à leur rang dans la hiérarchie des revues.

Se sachant de plus en plus évalués à l’aune d’indicateurs basés sur ces classements de revues, les chercheurs visent évidemment à y publier le plus souvent possible. Le halo de qualité entourant ces revues est si grand que l’un des classements d’universités parmi les plus visibles – le Academic Ranking of World Universities, communément appelé « Classement de Shanghai » – utilise le nombre d’articles écrits dans Science ou Nature comme l’un des indicateurs d’excellence des établissements, comptant pour 20 % de leur note globale.

Nouvelle compétition dans l’écosystème

L’importance d’une revue ou d’une autre dans le champ scientifique est tout sauf statique. Certaines disparaissent et d'autres apparaissent, à la faveur de l’émergence de nouvelles disciplines, spécialités ou méthodologies. Dans un article récent , mes collègues George Lozano, Yves Gingras et moi-même avons documenté le déclin, à l’échelle macro, de la relation entre le facteur d’impact des revues et le nombre de citations reçues par leurs articles. Nos données montrent que depuis l’arrivée du Web et des modes de diffusion électroniques au début des années 1990, les « grandes revues » publient une proportion de plus en plus faible des travaux de recherche les plus cités. Ainsi, la littérature la plus importante est publiée dans un éventail de revues de plus en plus large, et non seulement dans les revues à haut facteur d’impact.

Comment cette tendance se répercute-t-elle sur ces grandes revues, prises individuellement? La figure 1 montre, en partant de 1985, la proportion des articles hautement cités obtenue par certaines de ces revues à facteur d’impact élevé. Celles-ci ont été choisies parmi les revues généralistes les plus réputées : les Proceedings of the National Academies of Science (PNAS), le Journal of Biological Chemistry (JBC), Nature, Science, Cell et le New England Journal of Medicine (NEJM).

De façon cohérente avec ce que l’on observe à l’échelle macro, on constate que ces grandes revues publient une proportion de plus en plus faible des travaux les plus cités. Plus spécifiquement, jusqu’au début des années 2000, JBC publiait plus de 5 % des articles parmi les 5 % les plus cités. En 2010, ce pourcentage est de moins de 1 %. Les PNAS ont subi une baisse similaire, passant de plus de 4 % au milieu des années 1980 à 2,3 % en 2010. De façon analogue, pour Nature et Science, qui, en 1985, publiaient respectivement 2,4 % et 1,7% des articles parmi les 5 % les plus cités, ces pourcentages sont, en 2010, respectivement de 1,2 % et de 1,1 %. Enfin, Cell et le NEJM, qui publiaient autour de 1 % des articles parmi les 5 % les plus cités, n’en publient plus que 0,5 % en 2010.

On assiste donc clairement à une diversification des lieux de publication des découvertes importantes.

À l’opposé, d’autres revues – pour la plupart récemment lancées – augmentent leur proportion des articles les plus cités (figure 2). PLOS ONE, revue interdisciplinaire en accès libre fondée en 2006, obtient au cours des dernières années près de 0,8 % des articles parmi plus cités. La création de nouveaux domaines, telles les nanotechnologies et la science des matériaux, amena également la naissance de revues – telles que Nano Letters, ACSNano, Advanced Material, Biomaterials et Journal of Physical Chemistry C, présentées à la figure 2 – qui ont également grugé une part croissante des articles hautement cités. On assiste donc clairement à une diversification des lieux de publication des découvertes importantes.

Pas question de disparition

Évidemment, bien que leur part des articles les plus cités soit en déclin, ces grandes revues ne disparaîtront pas de sitôt. Même que, dans tous les cas, elles publient une proportion d’articles hautement cités plus élevée que leur proportion d’articles « tout impact confondu » et demeurent ainsi parmi les revues ayant, globalement, le plus haut impact scientifique. Toutefois, leur place relative dans l’écosystème des revues savantes est en déclin.

Notes :

  • 1. NDLR : Chez le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002), la notion de  « capital » est centrale. Il s'agit de « ressources » matérielles ou symboliques qui ont valeur d'échange ou qui sont source de pouvoir. Ce capital peut être monétaire, bien sûr, mais il peut être question d’un capital de titre (Docteur), d’un capital social (réseau de relations), d’un capital culturel (connaissances, expertises), etc.

  • Vincent Larivière
    Université de Montréal

    Vincent Larivière est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, professeur adjoint à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, membre régulier du CIRST et directeur scientifique adjoint de l’Observatoire des sciences et des technologies. Ses recherches s’intéressent aux caractéristiques des systèmes de la recherche québécois, canadien et mondial, ainsi qu’à la transformation, dans le monde numérique, des modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en Science, technologie et société (UQAM), d’une maîtrise en histoire (UQAM) et d’un Ph.D. en sciences de l’information (Université McGill).

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