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Luc-Alain Giraldeau, Université du Québec à Montréal
Les vraies réponses aux problèmes qui nous assaillent viendront forcément de la science tatillonne et hésitante, la science rigoureuse et précise, la science qui doute et qui invite à la réplication de ses résultats.

Un dossier-choc du Nouvel Observateur

Un dossier-choc du Nouvel Observateur nous apprend que des rats de laboratoire ayant consommé pendant deux ans de l’eau contenant de l’herbicide Roundup et du maïs génétiquement modifié pour résister à cet herbicide, développeraient de deux à cinq fois  plus d’anomalies sérieuses, dont des tumeurs menant au cancer. Les résultats ne sont pas tous cohérents, la méthode utilisée soulève des questions et l’étude n’est toujours pas répliquée, mais la réaction politique et scientifique est immédiate : tous (?) les OGM sont à proscrire. Une semaine plus tard, le Nouvel Observateur en rajoute en nous apprenant, selon les liens de sa page Internet, que les OGM sont un réel poison, que 79 % des Français s’en inquiètent, que la Russie interdit l’importation de ce maïs et que l’Autriche emboîte le pas à la France. Une telle hystérie s’est emparée des autorités sanitaires européennes qu’on a peine à croire qu’il ne s’agit que du résultat d’une seule étude toxicologique publié dans une revue scientifique spécialisée.

Comment un seul article a-t-il pu susciter une réaction aussi disproportionnée? Tout simplement parce que cette campagne médiatique anti-OGM résulte d’une collusion sans précédent entre un chercheur idéologue, ses bailleurs de fonds et un média à l’affût d’un scoop juteux dans le monde manichéen des grands complots de la science traditionnelle. La relation entre les médias et les scientifiques vient de prendre un nouveau virage, celui de la collusion.

Science et médias : relation délicate

Pour un chroniqueur scientifique, interviewer un chercheur est habituellement une tâche – une véritable visite chez le dentiste (!) – où, à coup de questions répétées, il arrive à soutirer quelques déclarations laconiques, chacune affublée de mille nuances et mises en garde techniques. Son travail consiste alors à transformer tout cela en message clair et, s’il est chanceux, percutant. Mais voilà que depuis quelque temps, le monde des chercheurs discrets et circonspects change. Un mutant idéologique se répand, un chercheur à deux volets : l’un scientifique et précautionneux avec ses pairs, l’autre sans retenue ni nuances ou mises en garde avec les médias. Alors que le journaliste scientifique s’est aguerri pour faire face aux scientifiques réticents, le voilà maintenant placé devant une machine de communication manipulatrice bien huilée. L’environnement a changé et le rapport entre la science et les médias, qui profitait jusque-là à la science, a maintenant le potentiel de lui être carrément nocif.

L’affaire Séralini

L’affaire des OGM, qui déferle sur l’Europe en ce moment, résulte d’une collusion inédite entre un chercheur – Gilles-Éric Séralini, dont les positions idéologiques anti-OGM agricoles sont connues, et la carrière parsemée de controverses  – et un grand média, Le Nouvel Observateur. Pourquoi collusion? Parce que, selon Sylvestre Huet  de Libération, l’auteur de l’article a exigé et obtenu du seul média autorisé à lire son étude avant publication une entente d’embargo sans précédent. Cette entente interdisait au journaliste de montrer l’article à d’autres scientifiques dans le but d’obtenir une contre-expertise. Une entente explicite entre un chercheur financé par des lobbies anti-OGM et un journal qui accepte de ne pas vérifier l’exactitude de sa source. Le scoop du Nouvel Observateur valait-il ce prix? Une réponse affirmative aurait de quoi donner froid dans le dos.

Érosion de la confiance du public

On pourrait tenter d’excuser Le Nouvel Observateur et croire qu’il aurait été manipulé par un chercheur trop convaincu de la justesse de sa cause. Mais qu’il s’agisse de collusion ou de manipulation, le résultat est le même : l’érosion de la confiance du public envers la science. Car il y aura certainement des articles pour contredire cette étude. Évidemment, la science n’est jamais définitive, et elle n’est jamais rapide ni claire. Un résultat scientifique, même lorsque les tests statistiques le déclarent « significatif », peut toujours n’avoir été que le fruit du hasard. Après tout, le seuil d’acceptabilité n’est que de 1 sur 20. Une seule étude ne peut donc jamais en soi être définitive et totalement convaincante. C’est pour cela que la science exige des réplications, la critique par les pairs et les contre-expertises. Ce n’est pas rapide certes, mais l’erreur est évitée.

Mais qu’il s’agisse de collusion ou de manipulation, le résultat est le même : l’érosion de la confiance du public envers la science.

À rapporter ainsi sans nuances des vérités que l’on sait d’avance caduques et controversées, on nuit à la science. Après tout, si les scientifiques semblent capables de produire des résultats anti-OGM ou pro-OGM selon qu’ils sont militants anti-OGM ou embauchés par leur fabricant, le citoyen est en droit de se demander si finalement la science n’est pas qu’une question d’opinion.  Et ça, c’est la fin de la science.

La rigueur, le doute et la patience

Les chercheurs à double discours semblent se multiplier avec le nombre de causes. Certains travaillent pour l’environnement, d’autres contre l’usage d’animaux de laboratoire1. Il y a ceux qui sont contre la médecine traditionnelle, contre les nanotechnologies, et la liste s’allonge. L’avenir n’est pas reluisant pour les chercheurs, dont le salaire et les fonds de recherche dépendent de la confiance qu’ils inspirent aux contribuables.

Pourtant, les vraies réponses aux problèmes qui nous assaillent viendront forcément de la science tatillonne et hésitante, la science rigoureuse et précise, la science qui doute et qui invite à la réplication de ses résultats, la science qui nous dira à sa vitesse d’escargot habituelle si l’exploitation d’une mine d’uranium, l’extraction de terres rares, la présence de champs magnétiques, l’usage du téléphone portable ou la présence d’une centrale nucléaire soulèvent de réels risques de santé publique. En attendant, le champ médiatique des certitudes rapides semble ouvert à l’antiscience de ceux qui prétendent avoir trouvé la réponse.

Je crains cette nouvelle collusion et les dérapages à prévoir. Combien d’idéologues en blouse blanche préparent déjà les résultats d’études sur les risques de la vaccination en vue de convaincre quelques médias que les vaccins peuvent tuer nos enfants… juste à temps pour la prochaine pandémie? Et quel média en fera ses choux gras? Je suis inquiet.

Note :

1.Très silencieux d’ailleurs sur le sort horrible réservé à ces cobayes empoisonnés et affublés de cancers, et étudiés jusqu’à ce que mort s'ensuive.


  • Luc-Alain Giraldeau
    Université du Québec à Montréal

    Luc-Alain Giraldeau est titulaire d’un PhD en biologie de l’Université McGill. Il a enseigné à l’Université de Toronto avant de devenir chercheur-boursier du CRSNG et professeur à l’Université Concordia. À l’UQAM depuis 2000, il y a été professeur, puis successivement directeur du Département de sciences biologiques et vice-doyen à la recherche de la Faculté des sciences. Il a publié plus de 100 articles scientifiques sur le comportement animal, siège à plusieurs comités éditoriaux de revues et a écrit ou codirigé 9 livres, dont 4 manuels et 3 livres de vulgarisation. Il est le récipiendaire 2012 du Prix d’excellence en recherche, volet carrière du réseau des UQ.

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