Aller au contenu principal
Il y a présentement des items dans votre panier d'achat.
Mario Leclerc, Université Laval
La plus grave erreur serait de former des chimistes n’ayant qu’un minimum de connaissances dans leur discipline tout en voulant leur inculquer le plus rapidement possible des notions élémentaires de physique, de biologie et d’ingénierie

Quel est et quel sera le rôle de la chimie au 21e siècle? Pour tenter de répondre à cette grande question, il pourrait être utile de voir ce qu’était la chimie au début du siècle dernier et ce qu’elle est devenue au fil du temps.

Au début du 20e siècle, les chimistes découvraient la chimie organique tout en continuant à s’intéresser à la chimie minérale et physique. Leur but était de mieux comprendre le monde et de créer des molécules aux propriétés jusqu’alors inconnues. Les années 1950 ont vu apparaître les sous-disciplines que sont la chimie analytique et macromoléculaire, et la biochimie. Avions-nous fait le tour? La discipline avait-elle trouvé ses délimitations?

Profondeur et largeur de vue

Je crois, un peu comme l’écrivait mon collègue Serge Lacelle1, que les spécialistes de la chimie se doivent maintenant d’élargir leur champ de vision et de pratique. Comme d’autres disciplines, d'ailleurs, qui s’intéressent à des problèmes de nature chimique et qui y contribuent avec succès; au point où cela provoque parfois une réaction du type : « Quoi! Encore un prix Nobel de chimie octroyé à un non-chimiste?2 ». Il faut donc, non par mode, mais par nécessité, mener des travaux de nature multidisciplinaire en connaissant le vocabulaire et les besoins des autres chercheurs.

Dans le but de favoriser cette transition, la plus grave erreur serait de former des chimistes n’ayant qu’un minimum de connaissances dans leur discipline tout en voulant leur inculquer le plus rapidement possible des notions élémentaires de physique, de biologie et d’ingénierie. On reproche souvent aux spécialistes de tout connaître sur un sujet pointu et l’idée de former des scientifiques généralistes pourrait paraître séduisante, mais risquerait de conduire à former quelqu’un qui en sait peu sur tout. Alors que les grands problèmes de notre civilisation mondiale requièrent des chimistes, physiciens, ingénieurs, médecins, etc. qui maîtrisent leur domaine tout en collaborant à un objectif commun. Selon moi, il est donc important de former d’excellents chimistes imaginatifs et novateurs, mais qui ont l’humilité de reconnaître que seuls, ils auront bien peu d’impact.

Un 21e siècle avec les chimistes

De fait, quels sont-ils, ces grands défis qui attendent ces chercheurs? À mon avis, même si plusieurs d’entre eux travailleront encore longtemps avec les ballons et les erlenmeyers du siècle dernier (comme je le dis à mes étudiants, l’innovation est « dans » le ballon), le rôle des chimistes au 21e siècle sera de contribuer aux enjeux de santé, d’environnement et d’énergie. Dans tous ces domaines, le travail sur la matière à l’échelle moléculaire est essentiel. Pour combler la demande énergétique, par exemple, il est impératif de trouver collectivement des matériaux et des technologies qui seront plus efficaces que l’ampoule d’Edison pour éclairer nos maisons et plus performants que les accumulateurs au plomb pour équiper nos automobiles.

De la même manière, les grandes avancées en médecine seront basées sur la mise en place de nouveaux outils de détection, tels les biocapteurs. Pour sa part, l’environnement bénéficiera des découvertes de la chimie dite verte et d’une meilleure utilisation des ressources renouvelables comme éléments de base de la chimie synthétique, tels le bois ou les déchets céréaliers.

La nature est sans frontières

Nous, les scientifiques, avons découpé la nature en disciplines, en sous-disciplines, en sous-sous disciplines... Cette étape de réduction et d’analyse était nécessaire à la compréhension de l’organisation de la matière et des organismes vivants. Un tel type de recherche a d’ailleurs encore sa place, mais nous en connaissons maintenant suffisamment en physique, en chimie, en biologie pour agir à l’échelle des systèmes – santé, environnement ou énergie. Et c’est là qu’intervient la nécessité de la multidisciplinarité, car il y a urgence dans les défis à relever.

À ce sujet, il est bon de noter la mise en place du nouveau Fonds de recherche du Québec qui vise, entre autres, à effacer les frontières entre les disciplines et à favoriser une meilleure concertation entre les chercheurs. Bref, les chimistes ayant un regard large ne devraient pas manquer de travail dans le présent siècle...

  • 1Serge Lacelle, Les chimistes doivent se réinventer, Découvrir, décembre 2011.2)    R.Hoffmann, What, another Nobel Prize in Chemistry to a Nonchemist?, Angew. Chem. Int., 2012, no 51, p. 1734.

  • Mario Leclerc
    Université Laval

    Mario Leclerc détient un B.Sc. (1983) et un Ph.D. en chimie (1987) de l’Université Laval. Il a été professeur au département de chimie de l’Université de Montréal entre 1989 et 1998. Depuis lors, il est professeur au département de chimie de l’Université Laval où il est présentement titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les polymères électroactifs et photoactifs.

Vous aimez cet article?

Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.

Devenir membre Logo de l'Acfas stylisé

Commentaires