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Fanny Maure et Mathieu B. Morin, Université de Montréal
Voyez ici deux coccinelles maculées prenant soin, contre leur gré, des cocons de guêpes parasitoïdes. Elles sont partiellement paralysées dans cette position, incapables de se déplacer, de se reproduire et de se nourrir.

#MagAcfas - Découvrir : Un garde du corps appelé "coccinelle", par Fanny Maure et Mathieu B. Morin, Université de Montréal

L’histoire

Le monde des insectes, comme celui des humains, regorge d’interactions en tous genres. Parmi les nombreuses associations observées, le parasitisme en est une des plus inégales. Dans cette relation à sens unique, le parasite utilise son hôte pour en tirer des bénéfices : ressources, habitats, dispersion, soins parentaux, etc. Ce faisant, il inflige à ce dernier une diminution de sa croissance, de sa reproduction et même de sa survie. De façon surprenante, cette association est sans aucun doute l’interaction la plus fréquente dans le monde vivant : on estime que plus de la moitié des espèces actuellement connues ont, au moins à un moment de leur cycle, un mode de vie parasitaire.

Une contrainte biologique : se reproduire

Le parasitisme se rencontre au sein de la plupart des taxons, des virus aux animaux en passant par les bactéries et les plantes, et il se matérialise ainsi de façon très diversifiée. Cependant, tous les parasites partagent la même contrainte biologique : celle de se transmettre d’un hôte à un autre au fil des générations. Parmi les différentes stratégies observées, l’une des plus impressionnantes consiste en la manipulation du comportement des hôtes par les parasites. Si dans l’immense majorité des cas, la manipulation concerne des comportements déjà existants chez les hôtes (ex. : diminution ou augmentation de leur expression), elle peut aussi en engendrer des nouveaux, parfois tout à fait spectaculaires (ex. : un grillon se suicidant en sautant dans l’eau pour libérer son ver, une fourmi restant figée en haut d’un brin d’herbe en attendant d’être mangée par un mouton, un rat attiré par l’odeur de l’urine de chat, etc.).

La manipulation de type « garde du corps »

Ces manipulations parasitaires ont déjà fait l’objet de très nombreuses recherches, mais l’une d’entre elles reste peu documentée : la manipulation de type « garde du corps ». Chez certaines guêpes parasitoïdes, soit celles qui tuent généralement leur hôte au cours ou à la fin de leur développement, les larves « égressent », c’est-à-dire qu’elles s’extraient du corps

de leur hôte et finissent leur développement près de celui-ci, le plus souvent dans un cocon. Pour faire face aux dangers du milieu durant cette phase de vulnérabilité de leur développement, les guêpes détournent le comportement de leur hôte afin de les utiliser comme de véritables « gardes du corps » : sous l’emprise de la guêpe, l’hôte reste alors proche des pupes de parasitoïdes et manifeste des comportements agressifs contre leurs ennemis naturels. Sur le plan mécanistique, ces manipulations de type garde du corps sont particulièrement énigmatiques, car elles surviennent alors que le parasite s’est extrait de son hôte et qu’il n’existe donc plus aucune interaction entre les deux protagonistes.

C’est au beau milieu d’un champ de maïs, en plein mois d’août, qu’un nouveau modèle de manipulation de type garde du corps a été découvert. Ce modèle associe la guêpe parasitoïde Dinocampus coccinellae et son hôte, la coccinelle maculée Coleomegilla maculata. Habituellement vue en train de voler à travers champs à la recherche de proies, la coccinelle tant appréciée est ici victime d’une bien étonnante manipulation comportementale…

Les images

Sur l'image principale, nous voyons deux coccinelles maculées recouvrant chacune un cocon de guêpe parasitoïde. Plusieurs jours après que la guêpe – image 2 – a pondu un œuf (au moyen de son ovipositeur) dans la cavité abdominale de son hôte, une larve s’en extirpe – image 3 –  et vient se glisser

entre les pattes de la coccinelle, où elle va ensuite tisser son propre cocon (1). De façon tout à fait atypique pour une association hôte-parasitoïde, la coccinelle reste en vie après cet incroyable phénomène. Elle est cependant partiellement paralysée sur le cocon et se trouve donc dans l’incapacité de se déplacer, de se reproduire et surtout de se nourrir. Ainsi accrochée sur le cocon avec ses pattes, elle a pour seule activité de légers tressautements, qu’elle manifeste à intervalles irréguliers (en particulier au contact de prédateurs). Nous avons récemment pu montrer que cette modification comportementale de l’insecte confère une véritable protection à la guêpe contre ses ennemis naturels. Non, non, vous ne rêvez pas : la coccinelle est bel et bien utilisée ici comme un véritable garde du corps!

Bien que la plupart des coccinelles finissent malheureusement par mourir sur le cocon après l’émergence de la guêpe (environ huit jours après la formation du cocon), certains individus sont toutefois capables de recouvrer leur motricité et même de se reproduire à nouveau, ce qui constitue un autre aspect tout à fait exceptionnel de ce modèle d’étude.

L’usage

En analysant de courtes séquences vidéo [voir ci-après] du tressautement des coccinelles parasitées, nous sommes en mesure de visualiser – et donc de quantifier – l’intensité avec laquelle l’insecte tressaute, autrement dit l’intensité de la manipulation – image principale. Étant donné qu’il existe une importante variabilité parmi les individus infectés, nous pourrons étudier de nombreux aspects de cette manipulation et donc notamment tenter de répondre à ces interrogations : est-ce que l’intensité de la manipulation est négativement corrélée avec le temps de protection de la coccinelle sur le cocon? Est-ce que la guêpe manipule plus fortement son hôte lorsque le milieu compte plus de prédateurs? Ou est-ce que l’intensité de la manipulation est déterminée de fa çon génétique chez les guêpes? Enfin, est-ce que cette intensité a un lien avec le possible retour de motricité observé chez certaines coccinelles?

[video:http://vimeo.com/32928291 width:320 height:240 align:left]

De plus, dans notre domaine de recherche – où certains phénomènes semblent tout droits sortis d’un film de science-fiction (!) –, les illustrations sont indispensables à la diffusion de nos résultats. Elles nous aident notamment à vulgariser des phénomènes qui sans le support de l’image, seraient quelquefois difficiles à cerner et surtout à concevoir.


  • Fanny Maure et Mathieu B. Morin
    Université de Montréal

    Fanny Maure et Mathieu Bélanger Morin poursuivent tous deux des études au sein du laboratoire d’entomologie de Jacques Brodeur, chercheur et professeur à l’Institut de recherche en biologie végétale, relié au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Fanny Maure, doctorante en écologie comportementale, s’intéresse de très près à cette fameuse manipulation de type « garde du corps ». Mathieu Bélanger Morin, pour sa part, travaille dans un tout autre domaine de l’entomologie : il termine une maîtrise en écologie forestière et s’intéresse à la réaction des insectes xylophages face aux coupes partielles en milieu boréal. Il est aussi passionné de photographie et participe à la prise en images pour différents projets scientifiques afin de pouvoir illustrer ceux-ci et mieux les vulgariser.

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