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Marie-Ève André - Concours de vulgarisation - 2012
Lauréate

Marie-Ève André

UdeS - Université de Sherbrooke

Un dîner de rois

Repas entre amis au coeur de la forêt mexicaine. Trois des sarcoramphes rois se nourrissant d'un cadavre." src="/sites/default/files/prix-concours/vulgarisation/2012/projet/sarcoramphes_rois.jpg">

La forêt est sombre. Des ossements éparpillés et des débris non identifiés jonchent le sol. Une odeur fétide imprègne l’air. Nous sommes sur une piste… Soudain, des battements d’ailes sonores viennent briser la cacophonie tropicale. Les sarcoramphes sont là, derrière le rideau végétal qui se dresse à nos pieds. Nous approchons en silence du théâtre d’un banquet macabre. La table est mise pour les plus grands oiseaux charognards forestiers du monde!

Deux mètres d’envergure alaire. Un plumage blanc immaculé. Une couronne écarlate déposée sur une tête multicolore. Les mouvements élégants des ailes du sarcoramphe lui confèrent une surprenante noblesse... mais les lobes de chair jaune qui pendent au bout de son bec lui donnent parfois un air de grosse dinde!

Le sarcoramphe roi, cousin du condor des Andes, est une espèce quasi inconnue de la communauté scientifique. Notre travail est de tenter d’en apprendre davantage sur ses mœurs alimentaires. Nous sommes en exploration pour découvrir les endroits où les sarcoramphes préfèrent casser la croûte. Où vont-ils pour manger leurs fameux cadavres? Consomment-ils exclusivement des carcasses d’animaux sylvestres ou s’aventurent-ils en milieux ouverts pour manger des restes de bétail mort?

Pour le découvrir, il faut s’armer de patience… et d’une bonne machette!

La mort au menu

Les préférences alimentaires morbides des charognards évoquent certaines scènes des plus horribles films d’épouvante! Avouons-le : la consommation de cadavres en putréfaction répugne même les plus courageux. Pourtant, d’un point de vue biologique, les oiseaux nécrophages du monde entier accomplissent un véritable tour de force à chacun de leurs repas. Ne mange pas les morts qui veut!

Les carcasses animales sont une ressource rare et éphémère. Leur dépistage relève d’une chasse au cadavre digne de romans policiers. Toutefois, en profitant des courants aériens ascendants, les oiseaux charognards peuvent entreprendre des prospections alimentaires sur plusieurs dizaines de kilomètres moyennant un très faible coût énergétique. Grâce à leur vol plané, les oiseaux charognards relèvent le défi haut la plume! 

Ce faisant, les animaux nécrophages rendent de grands services écologiques aux humains et aux communautés animales. En nous débarrassant des restes d’animaux gisant au sol, ils freinent la propagation de maladies causées par la prolifération des bactéries pathogènes présentes dans la chaire morte. En plus de servir d’éboueurs, les nécrophages constituent des usines de recyclage de matière organique! En consommant les morts, les charognards remettent en circulation certains éléments chimiques comme le carbone, l’azote et l’hydrogène; un rôle essentiel au maintien de l’équilibre biochimique des écosystèmes.

Les menaces planent

À l’instar de la majorité des espèces d’oiseaux nécrophages du monde, le sarcoramphe roi a un statut précaire. Ses populations sont en déclin à travers sa répartition géographique, soit du sud du Mexique au nord de l’Argentine. Les causes exactes de ce déclin sont inconnues, mais des chercheurs ont récemment mis en lumière un élément clé de l’écologie de cette espèce. Le sarcoramphe dépendrait entièrement des forêts matures pour un aspect capital de son histoire de vie : l’établissement de ses dortoirs communaux. Les dortoirs sont de grands arbres émergents où s’assemblent les sarcoramphes en groupes d’une vingtaine d’individus. Les dortoirs contribuent à la cohésion de ces groupes hautement hiérarchisés. Or, les arbres sélectionnés sont toujours situés à plus de sept kilomètres des villages. De grands pans de forêts ininterrompus sont donc nécessaires à la résidence permanente des sarcoramphes dans une région.

C’est ici à Calakmul que l’on retrouve la plus forte densité de sarcoramphes en Amérique Centrale. Une centaine d’individus y auraient élu domicile. Pas étonnant! Avec sa Réserve de la Biosphère et ses nombreuses aires forestières communales, la région de Calakmul sert de refuge à plusieurs espèces animales vulnérables, dont le jaguar et le tapir de Baird. Cependant, le développement urbain et agricole fragmente de plus en plus les étendues forestières de la région et le sarcoramphe est face à une nouvelle problématique. Survolant une mosaïque de différents milieux, choisira-t-il de s’alimenter exclusivement en forêt?

Où va-t-on pour dîner?

Telle est la question sur les becs de tous les sarcoramphes rois. Et c’est le cœur de l’enquête de notre équipe. En installant des carcasses dans différents milieux, nous pouvons évaluer la fréquentation de ces « mangeoires » improvisées. Des paramètres environnementaux sont mesurés et mis en relation avec la présence des charognards.

Nos résultats? Les sarcoramphes rois se nourrissent tout autant dans les pâturages que dans les forêts matures. D’ailleurs, nombreux sont les agriculteurs qui confirment avoir aperçu le zopilote rey dévorant une vache défunte au fond de leur ranch. Ceci étant dit, les sarcoramphes ne mangent quand même pas n’importe où! Ils sélectionnent leurs aires d’alimentation principalement en fonction de la composition du paysage avoisinant. Pour que les sarcoramphes choisissent de se nourrir d’une carcasse, cette dernière se retrouver en plein cœur d’un territoire comprenant plus de 500 kilomètres carrés de forêts matures. En d’autres mots, le paysage doit être très verdoyant à vol d’oiseau!

Le plus fascinant, c’est que cette prédominance de forêts est également associée à la présence de dortoirs communaux. Nos résultats suggèrent donc que les sarcoramphes pourraient préférer les carcasses situées à proximité de leurs dortoirs. Ce qu’ils recherchent d’abord et avant tout c’est de manger près de chez eux! Avec ces données, nous pourrons estimer la taille des domaines vitaux des sarcoramphes, une information absolument essentielle à la délimitation d’aires protégées.

Longue vie au roi

Les découvertes comme celles que nous avons faites dans la région de Calakmul sont indispensables à la compréhension des besoins écologiques du sarcoramphe roi. Les initiatives combinées des chercheurs et du gouvernement mexicain pour protéger son habitat contribueront certainement à assurer la survie des fragiles populations de sarcoramphes.

Les rayons du soleil ne parviennent plus à traverser le couvert arborescent. Il fera bientôt nuit et nous sommes en route vers la civilisation. Le paysage forestier défile à nos côtés. Une question me hante : si trépasse le seigneur des nécrophages, qui restera-t-il pour manger les morts?