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Isabelle Laforest-Lapointe, Université de Calgary

L’automne est, à mes yeux et à mon cœur, la plus belle des saisons. Rien de mieux qu’une balade en forêt fin septembre pour apprécier la majesté des feuillus aux tons sophistiqués de rouge, d’orangé et de jaune, narguant le vert commun des conifères. Mais si on pointe une lentille de microscope sur la surface des feuilles et des aiguilles, on entre dans un nouveau paysage parsemé de millions d’habitants invisibles à l’œil nu. C’est là le peuple des microbes vivant, ou plutôt survivant, à la surface et parfois même à l’intérieur des feuilles. Exposés au vent, à la pluie, au froid puis soudainement à la chaleur d’une canicule et aux rayons UV, sans possibilité aucune qu’une âme charitable vienne étendre une bonne couche de crème solaire 50 sur leur paroi cellulaire, les microbes qui colonisent les feuilles des arbres en voient de toutes les couleurs. Littéralement.

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Isabelle Laforest-Lapointe effectuant des échantillons à l’aide d’une perche à l'été 2013, en Abbitibi. Source : Isabelle Laforest-Lapointe

Microphyllopolis

Plusieurs avancées récentes ont démontré que les communautés de microbes influencent la santé humaine. Et il en serait de même quant à leur rôle relatif sur le bien-être des plantes et des écosystèmes. C’est du moins ce que les travaux auxquels j’ai contribué laissent présager. En effet, notre article1  paru dans la revue Nature en 2017 démontre pour la première fois que la diversité du microbiome des feuilles pourrait jouer un rôle crucial dans la productivité des écosystèmes terrestres, une découverte ayant de multiples retombées potentielles dans les domaines de la production végétale, de même que pour l’étude des réseaux trophiques2.

L’étude des microbiomes enfin possible

La recherche sur le microbiome a longtemps été limitée par la nécessité de faire « pousser » les microbes pour les observer sous microscope. Le hic est que la culture de ces microorganismes est très variable, parfois très facile à faire croitre, parfois impossible à faire survivre. Conséquemment, les études du microbiome – ces communautés de microorganismes incluant bactéries, champignons, virus et micro-eucaryotes – sous-estimaient systématiquement la taille et la diversité des populations. L’arrivée récente et l’accès à moindre coût des techniques permettant de faire fi des problèmes de la culture sur gélose dans un pétri, tel que le séquençage de fragments de gènes d’ADN et d’ARN, ont permis une explosion de la recherche sur le microbiome, tous milieux confondus.

Il en découle de nouvelles pratiques, de l’apparition des probiotiques dans les résolutions alimentaires du Nouvel An à l’amélioration de traitements pour le cancer. De plus, dans le domaine de la bioremédiation, plusieurs chercheurs travaillent à l’élaboration de technologies de décontamination des sols grâce aux bactéries et champignons.

Le formidable impact du micromonde forestier

Les surfaces aériennes des plantes, un habitat connu sous le nom de phyllosphère, représentent une aire totale estimée à environ deux planètes Terre. Malgré que cet habitat soit oligotrophique, c’est-à-dire extrêmement pauvre en nutriments et exposé à la fluctuation constante des conditions physiques, une grande diversité de microorganismes y réside. Ceux-ci ont la capacité d’influencer la physiologie et le métabolisme de leur plante-hôte, voire même les interactions entre espèces végétales.

Sans surprise, l’étude des communautés microbiennes est en voie d’acquérir une grande importance. En effet, ces communautés participent à la régulation des populations animales et végétales; dégradent plusieurs contaminants; contribuent aux défenses de l’hôte contre les pathogènes; et finalement synthétisent de multiples composés vitaux pour la productivité des plantes-hôtes. De plus, il a été démontré que le microbiome des feuilles contribue significativement aux cycles du carbone et de l’azote au sein des écosystèmes terrestres tels que les forêts, les prairies, les toundras, etc. Les plantes exposent une multitude de surfaces (racine, tige, feuille) aux microorganismes, permettant ainsi le développement d’interactions plante-microbe qui sont essentielles pour assurer la productivité végétale.

Caractériser les terroirs microbiens du Québec

Puisque la majorité des études du microbiome foliaire des arbres se sont déroulées dans les forêts tropicales, notre premier objectif était de caractériser la structure et les dynamiques d’assemblage des communautés bactériennes de la phyllosphère des arbres de la forêt tempérée du Québec. En parcourant les paysages estivaux du Québec, allant de la magnifique région du Bic dans le Bas-Saint-Laurent au Parc très naturel de la Gatineau (les ours nous ont visités sur le terrain), en passant par les forêts trop riches en mouches de l’Abitibi, avant de compléter le périple dans la chaleur de l’Estrie, nous avons échantillonné les feuilles de l'érable à sucre, de l'érable rouge, du bouleau blanc, du sapin baumier et de l'épinette blanche. Nous voulions savoir si chaque espèce portait les mêmes microbes, s’ils variaient entre localités et selon les mois de l’été. Notre constat : chaque espèce d’arbre recrute des microorganismes ayant un profil particulier, peu importe où l’arbre se trouve.

Diversité rime avec productivité

La diversité des plantes est reconnue comme étant cruciale pour plusieurs fonctions des écosystèmes terrestres. La productivité, une fonction clé pour les domaines de l’agriculture et de la sylviculture, est plus grande quand la diversité des communautés végétales augmente. Alors qu’auparavant on attribuait ce gain de productivité à une diminution de la compétition pour les ressources – monoculture = compétition forte pour les mêmes ressources vs polyculture = utilisation de plusieurs ressources différentes –, il semble que les microbes pourraient également jouer un rôle de ce côté en favorisant la productivité des plantes-hôtes. En effet, les récentes avancées technologiques en séquençage génétique ont permis une découverte surprenante : les microbes qui colonisent les plantes influencent le développement et la survie de leur hôte. Ainsi, ce « microbiome » pourrait jouer un rôle crucial en termes de productivité, par exemple en protégeant les feuilles des attaques de pathogènes, en améliorant la captation de nutriments essentiels à la croissance des plantes ou encore en influençant la production d’hormones végétales.

Suite à plusieurs années de recherche alliant des travaux en biodiversité et en fonctionnement des écosystèmes forestiers des Drs Christian Messier et Alain Paquette, et avec l’expertise en écologie microbienne et analyses bio-informatiques du Dr Steven Kembel, nous avons publié une première étude qui démontre que la diversité du microbiome des feuilles influence positivement la productivité des communautés d’arbres. Cette étude a été menée dans une expérience de diversité forestière unique appartenant au réseau IDENT (International Diversity Experiment Network with Trees) et située sur le campus Macdonald de l’Université McGill, à Sainte-Anne-de-Bellevue.

Microbes urbains

Pour compléter nos recherches en milieu naturel et expérimental, j’ai comparé le microbiome des feuilles des arbres en milieu naturel, en banlieue et finalement au centre-ville de Montréal. Nos résultats démontrent que les communautés bactériennes foliaires diffèrent en composition, mais non en diversité. Ainsi, notre étude suggère donc que les activités humaines influencent le microbiome des plantes. De par l’importance des communautés microbiennes sur la santé humaine, il serait donc très intéressant qu’une future étude explore comment le microbiome des plantes urbaines influence celui des citadins.

Collaborations entre micro et macro

Somme toute, force est de constater que nos compagnons invisibles jouent un rôle dans la productivité et la survie des macro-organismes allant des arbres aux êtres humains. Le travail acharné des chercheurs en écologie microbienne ainsi que les avancées constantes des technologies de séquençage génétique nous permettent d’apprécier la complexité des interactions hôte-microbes, laissant présager de nouvelles découvertes qui mèneront éventuellement au développement d’applications dans plusieurs domaines tels que la sylviculture, l’agriculture et la médecine.

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Surface d'une feuille densément habitée par des micro-organismes (en vert). En bleu, ce sont les stomates, les orifices permettant à la plante d'échanger avec l'extérieur. Crédits : Gabriel Jacques
  • 1Isabelle Laforest-Lapointe, Alain Paquette, Christian Messier et Steven W. Kembel. Leaf bacterial diversity mediates plant diversity and ecosystem function relationships, Nature 546, 145–147 (01 Juin 2017)
  • 2« Un réseau trophique est un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d'un écosystème et par lesquelles l'énergie et la biomasse circulent (échanges d'éléments tels que le flux de carbone et d'azote entre les différents niveaux de la chaîne alimentaire, échange de carbone entre les végétaux autotrophes et les hétérotrophes). » Wikipédia, consulté le 18 mars 2018.

  • Isabelle Laforest-Lapointe
    Université de Calgary

    Isabelle Laforest-Lapointe est une chercheure en écologie microbienne. Originaire de la ville de Québec, elle a complété ses études universitaires à l’Université Laval (baccalauréat en biologie), à l’Universitat Autonoma de Barcelona (maitrise en écologie terrestre), à la Polytechnica de Catalunya (maitrise en statistiques) et finalement à l’Université du Québec à Montréal (doctorat en biologie). Sa recherche porte principalement sur les interactions hôtes-microbes dans les écosystèmes forestiers, mais également sur le microbiome de l’intestin dans les modèles humains et d’animaux. Isabelle est actuellement chercheure postdoctorale dans le laboratoire du Dr. Marie-Claire Arrieta à l’Université de Calgary, à Calgary. Ses champs d’expertise sont l’écologie, la génomique, la bio-informatique et les statistiques.

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