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Mélissa Thériault, Université du Québec à Trois-Rivières

En cette période de l’année où la communauté scientifique s’éparpille aux quatre vents pour disséminer ses résultats de recherche avant de prendre (peut-être) des vacances bien méritées, il est bon de se rappeler que la science est produite par des humains, mais surtout pour eux et avec eux.

MT

 

 

 

 

 

« Vous savez, il avait pour principe de ne jamais laisser un courriel sans réponse! »

C’est par ce détail révélateur, relaté sur un ton admiratif, qu’une jeune collègue m’a résumé, il y a quelques mois, l’éthique de travail de notre mentor récemment disparu, alors qu’un groupe de collaborateurs de tous horizons s’était réuni pour honorer la mémoire de cette figure appréciée du milieu intellectuel. Si la famille et les proches avaient célébré en privé la mémoire de l’homme, nous étions là pour souligner les mérites de la personne publique qu’il était devenu au terme d’une carrière prolifique. Rappeler le travail accompli était important, certes, mais il fallait surtout prendre l’engagement de ne pas laisser son travail sombrer dans l’oubli.

La remarque de mon interlocutrice me rappela que la quasi-totalité des courriels qu’il m’avait adressés se présentait selon la formule suivante :

  • [Salutations brèves + réponse de 3 à 5 syllabes + adverbe de politesse + initiales].

Mais il répondait, toujours. Et rapidement.

Le jour où je lui avais écrit un mot pour lui annoncer que j’avais obtenu un poste de professeure, un seul détail avait changé : dans sa réponse, l’initiale du nom de famille n’apparaissait plus. Apparemment anodin – mais visible, puisqu’au nombre restreint de caractères, chaque détail sautait aux yeux –, ce changement indiquait que si nos rapports allaient demeurer les mêmes (distants, mais cordiaux),  le rapport hiérarchique n’était plus nécessaire. C’était sa façon de me le faire comprendre.

Alors que j’avais toujours cru que le caractère télégraphique des courriels s’expliquait par un le souhait de ne pas être sollicité davantage pour d’autres projets, la remarque de ma jeune collègue m’a fait voir les choses autrement. La raison était probablement beaucoup plus simple : le nombre de requêtes l’obligeait à s’en tenir au strict minimum pour arriver à répondre à toutes les demandes. De plus, ces courriels courts avaient leur impact.  En donnant ainsi l’exemple, il apprenait à ses étudiant.e.s à ne pas laisser trainer les choses, à être précis.e, à ne fuir aucune responsabilité déplaisante, une fois que l’engagement pris. À prendre position, à décliner si nécessaire (quitte à déplaire). Et à ne pas se cacher derrière des prétextes comme le manque de temps.

Cette anecdote m’a permis de réaliser l’importance de ces petits gestes significatifs.  Au-delà des théories scientifiques (qui n’ont souvent qu’une durée de vie limitée et qui gisent consignées sur les serveurs ou dans les bibliothèques), de l’éventuelle renommée ou du nombre de citations (tel que nous le confirment ces statistiques produites par différents outils générateurs d’angoisse), que reste-t-il de nous, à part des surplus de copies de plans de cours? Que reste-t-il, une fois la saison des colloques terminée?

Pas grand-chose. Ce qui reste, c’est le souvenir de ce que nous avons été comme êtres humains chez ceux et celles qui poursuivront sur la même route que nous.

Ce qui reste, c’est l’exemple donné.

En cette période de l’année où la communauté scientifique s’éparpille aux quatre vents pour disséminer ses résultats de recherche1 avant de prendre (peut-être) des vacances bien méritées, il est bon de se rappeler que la science est produite par des humains, mais surtout pour eux et avec eux. Si la quête de savoirs est sans fin, si les esprits les plus brillants font reculer lacunes et limites, la science, dis-je, est d’abord et avant tout un lieu de rassemblement et de compréhension. Et le temps consacré aux petits gestes qui sont le ciment de la collégialité ne comptera pas sur votre cv, mais comme dit l’adage populaire : « le CV, on ne l’emporte pas dans la tombe2 ».


  • Mélissa Thériault
    Université du Québec à Trois-Rivières

    Mélissa Thériault est diplômée de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université de Provence. Ses travaux actuels portent sur les pratiques populaires, sur l’industrie culturelle et les représentations éthiques et politiques dans le cinéma québécois, sur les liens entre littérature et philosophie ainsi que sur les questions féministes. Auteure de Arthur Danto ou l’art en boîte (L’Harmattan, 2010) et de Le ‘vrai’ et le reste. Plaidoyer pour les arts populaires (Nota Bene-Varia, 2015), elle est professeure au Département de philosophie & arts de l’UQTR depuis 2013.

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