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"Les connaissances scientifiques sont foncièrement incertaines et sujettes à différences sources de biais potentiels. [...]. Reconnaitre cela ne signifie pas que l’entreprise scientifique soit invalidée, mais bien plutôt qu’il faille approcher celle-ci avec une certaine modestie intellectuelle combinant sens critique et transparence", Pierre-Olivier Bédard

Sommaire du Dossier Expertise

Élargir le spectre lumineux sous le lampadaire...

On connait tous l’histoire de l’individu qui, ayant perdu ses clés, les cherche sous un lampadaire. S’il fallait résumer simplement pourquoi le chercheur est important dans les prises de décisions sociales et publiques : c’est parce qu’il peut aider à élargir le spectre lumineux ! Les décideurs ont plus que jamais besoin d’éclaireurs autonomes, compétents et crédibles qui les aideront à questionner voire orienter les actions sociales et publiques en dehors des idéologies et des lobbys, de plus en plus nombreux et bien organisés.

Par ailleurs, à titre de scientifique et membre de la collectivité, le chercheur doit cesser d’être timide et prendre la place qui lui revient… même en jouant du coude. Personnellement, j’ai fait le choix d’éclairer les enjeux agricoles avec la lanterne des sciences sociales. La durabilité sociale de l’agriculture étant mon leitmotiv, celui-ci s’est traduit par des recherches sur la transmission des fermes, la relève agricole, l’isolement des jeunes et l’acceptabilité sociale de l’agriculture. Ces choix traduisent un engagement tant personnel que professionnel et social: étant agronome, issue de famille agricole, ayant fait un doctorat en sciences sociales, j’ai choisi d’utiliser ma subjectivité et mon parcours non pas comme des obstacles mais comme ressources et atouts pour entrer en interaction avec le milieu et influencer les décideurs lorsque cela semblait s'imposer - tout en étant consciente de mes responsabilités et de mes limites.

Ce dernier aspect est important : intervenir dans les décisions c’est aussi être conscient de son pouvoir et donc avoir un devoir de réserve lorsque cela dépasse nos compétences... le chercheur doit donc s'imposer un travail constant de réflexivité qui, tout en étant exigeant, n’en est pas moins riche et nécessaire.

Diane Parent, professeure titulaire et chercheuse
Département des sciences animales, Université Laval

 Connaissances scientifiques et incertitude  

Tel que souligné par les rédacteurs invités, l’expertise est intimement liée au savoir, notamment les savoirs issus de la recherche universitaire. À cet effet, un aspect m’apparait nécessiter une plus grande attention. Les connaissances produites à travers ce processus manifestent invariablement certaines limites ayant des conséquences sur la validité interne/externe de celles-ci. En ce sens, et bien que cela ne soit pas toujours reconnu (ou du moins communiqué tel quel) les connaissances scientifiques sont foncièrement incertaines et sujettes à différences sources de biais potentiels (certains articles nous le rappelle avec force – e.g. Ioannidis, 2008, Why Most Published Research Findings Are False. Reconnaitre cela ne signifie pas que l’entreprise scientifique soit invalidée, mais bien plutôt qu’il faille approcher celle-ci avec une certaine modestie intellectuelle combinant sens critique et transparence.

Une façon de réduire cette incertitude est pour les chercheurs de générer des connaissances rigoureuses issues de devis de recherche reconnus comme ayant une plus grande validité interne, tels les devis expérimentaux ou quasi-expérimentaux (notons au passage que ceux-ci manifestent néanmoins certaines limites). Il ne s’agit pas ici de la responsabilité seule du chercheur. De fait, elle apparait de plus en plus être celle également des gouvernements qui ont tout intérêt à accéder à des résultats de recherches valides et pertinents. À cet effet, certains États ont des infrastructures relativement élaborées pour supporter la production de connaissance interne. Au Royaume-Uni, pensons par exemple au What Works Centres ou au Behavioral Insights Team.

Il est également important de reconnaitre que les responsables de politiques publiques et les fonctionnaires ne sont pas toujours à même de comprendre et d’interpréter adéquatement des résultats de recherche manifestant nuances et incertitudes, préférant généralement les résultats communiqués avec certitude. Au final, améliorer la compréhension des responsables de politiques publiques des diverses méthodes de recherche tout en accroissant la transparence des chercheurs et experts dans leur communications semble être nécessaire afin d’optimiser la mobilisation des savoirs dans le processus d’élaboration de politiques publiques et de limiter du coup le recours aux arguments fondés sur l’autorité.

Pierre-Olivier Bédard, chercheur postdoctoral
Durham University, UK

La relation entre l'expert et le demandeur d'expertise

Le paradoxe de la méfiance-dépendance dans la relation des experts avec la société m'interpelle sous l'angle de la liberté d'expression. La quête de la reconnaissance sociale peut amener des experts à accepter de restreindre volontairement leur liberté. En cette période d'austérité, ils sont souvent déchirés entre défendre celui qui les mandate et qui les paie ou défendre le bien commun ou ses propres valeurs.

Le « consommateur d'expertise », qu'il soit élu ou dirigeant, requiert souvent la confidentialité. L'opinion de l'expert lui sert à confirmer, soutenir et justifier ses décisions et ses valeurs. Il ira jusqu'à compiler et amalgamer des expertises et ensuite sélectionner celles qui l'avantagent. L'expert et son expertise sont donc souvent instrumentalisés. Cela nous suggère que le « consommateur d'expertise » n'est pas si profane qu'il ose le prétendre et que l'expert consent de facto à ces manipulations en acceptant a priori la règle de la confidentialité.

Se pose en conséquence la question de la relation de « collaboration » entre l'expert et le consommateur d'expertise considérée sous l'angle éthique. L'expertise doit-elle être publiée ou maintenue secrète? Jusqu'où l'expert doit-il lui-même limiter sa liberté d'expression ou se plier au jeu de la manipulation? Alors, la reconnaissance sociale serait-elle un leurre? Comment est-elle possible si l'expert ne peut dévoiler son expertise ou que le devoir de réserve est la voie privilégiée pour en étouffer la publication et la liberté d'expression?

Diane Mercier@carnetsDM

Une place "douteuse"?

Frédéric Bouchard et François Claveau proposent une définition de l’expert qui repose sur trois pôles - savoir, reconnaissance et mobilisation - qui m'interpellent et suscitent leur part de réflexions pour la jeune chercheure que je suis. La consultation d’experts reposerait d’abord sur le postulat selon lequel ces derniers détiennent un savoir-expert. Les approches participatives bousculent toutefois cette hiérarchie et soulignent la valeur d’expertises alternatives, dites « terrain ». Du coup, quelle place accordée à ces différentes formes d’expertise et en quoi leur imbrication est favorable à la prise de décisions?

D’autres questions émergent quant aux critères sur lesquels repose la reconnaissance accordée à l’expert. Cette reconnaissance parait bien fragile et sujette à l’influence de facteurs qui n'ont parfois que très peu à voir avec la solidité des "preuves" avancées. Reflète-t-elle nécessairement la pertinence de l’expertise à l’égard des enjeux soulevés dans la prise de décisions?

Si je me réjouis de constater l’importance croissante accordée au processus de mobilisation, je me demande quelles sont les valeurs qui orientent cet engagement. Une recherche engagée au profit de quoi? Et pour qui? Cela soulève des enjeux face auxquels il est ardu de se positionner, particulièrement comme jeune chercheure.

Enfin, s’il existe un point commun aux divers domaines de recherche, c’est probablement leur inscription dans le territoire de la zététique. Cela suscite un ultime questionnement : Comment conseiller, aviser, orienter les décisions tout en cultivant cette culture du doute?

Sara Mathieu-C.
Candidate au doctorat en sciences de l'éducation, Université de Montréal
@SmathieuC

Intéresser les décideurs aux connaissances scientifiques

Un des enjeux sous-jacents repose sur l’intérêt que les connaissances scientifiques représentent pour les décideurs.

Dans une enquête auprès de plus de 600 fonctionnaires québécois, Rigaud et Lamari (2014) nous apprennent que « le milieu de la recherche universitaire » arrive au 7e rang des sources d’information les plus importantes pour l’accomplissement des fonctions des fonctionnaires, et ce, après l’information provenant de leur ministère d’attache, des autres organismes gouvernementaux québécois, du milieu politique, des médias, des autres gouvernements du Canada et des associations professionnelles ou communautaires.

Pour améliorer cette situation, de nouvelles compétences devraient être développées.

  • Les chercheurs doivent traduire et adapter leurs connaissances pour ce type de public, notamment parce que le manque de temps est souvent avancé par les décideurs pour expliquer le peu d’énergie qu’ils accordent aux publications scientifiques.
  • Les gouvernements doivent investir dans les activités et les groupes de partage des connaissances pour créer des relations durables.
  • Les chercheurs et les décideurs doivent avoir des attentes raisonnables. D’un côté, les chercheurs n’ont pas réponse à tout et ils émettent souvent des propositions générales devant être adaptées au contexte pour une meilleure mise en œuvre. Les décideurs doivent comprendre ces limites. De l’autre côté, les décideurs ne doivent pas être tenus à l’impossible. Mêmes s’ils adhèrent aux connaissances et aux propositions des experts, les décideurs doivent composer avec les facteurs politiques et organisationnels, de l’objectif parfois contradictoire, etc. Ce processus est exigeant et nécessite des compromis.

Finalement, un avertissement : nous devrions faire attention à ne pas tomber dans le piège de l’argument d’autorité. Les chercheurs-experts devraient d’abord chercher à améliorer le processus de réflexion critique des décideurs publics plutôt qu’imposer leurs vues et connaissances.

Julie Maude NormandinSource citée : Rigaud, B. et M. Lamari (2014). « Les relations entre l’administration publique et la recherche universitaire au Québec : éléments pour un état de situation », Télescope, Actes du colloque - Quelles recherches pour quelle action publique? Les défis d’une prise de décision mieux informée, Québec, 27 septembre 2013, p. 1-29. Voir : http://www.telescope.enap.ca/Telescope/docs/Index/Actes/Tel_hs_2014_Rigaud_Lamari.pdf

  Experts vraiment indépendants de tout carriérisme  

J'ai fait une analyse et un témoignage personnel sur cette question, que je vous invite à lire :

Ce à quoi j'ajoute ceci : l'expert en poste, chercheur universitaire, est le plus souvent appelé à propos d'un cas très technique ou très pointu à demeurer vague, prudent. On lui demande son avis, car c'est dans son domaine d'expertise.

Deux cas de figures sont possibles :

  • 1. il est déjà impliqué dans le dossier qui est possiblement litigieux. Il connait bien le dossier et s'ils se sent libre selon de cas de litige, il va donner son avis, mais sa crédibilité est moindre s'il est payé pour faire de la recherche pour une des parties en cause.
  • 2. il n'est pas impliqué, il n'a probablement pas étudié le problème spécifique; il peut donner un avis qui sera plus nuancé, mais aussi plus flou car il n'aura pas vraiment eu ce problème spécifique dans ses recherches.

Aussi, on donne le plus souvent des subventions de recherche que sur des sujets non conflictuels. Un troisième cas existe :

  • 3. le chercheur totalement indépendant de temps et de liens professionnels : je désigne ainsi l'expert retraité qui par motivation et en mode bénévolat va s'impliquer en centaines ou milliers d'heures. C'est le cas dont je témoigne dans mon texte mentionné ci-dessus.

Marc Durand, professeur retraité, géologie, UQAM

Réflexion sur la vérité

Dans ce papier, écrit en 2005, Réflexion sur la vérité, j'y parle de vérités scientifiques, ou considérées comme telles, et quelles difficultés le chercheur peut rencontrer quand il s'agit de transcrire des résultats scientifiques. Les experts sont probablement confrontés à des soucis similaires.

Laurent Salez


  • Sept réponses à la question du dossier : Quelle place faut-il accorder aux chercheurs-experts dans nos prises de décisions?

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